HISTOIRE DE BALADINS

Publié le par lichty lilly

Histoire de baladins.

 

 

Naguère avait cours à Diedendorf une expression, qui fustigeait l’insouciance et la paresse, et dont on se souvient encore dans l’«Oberdorf» : « Das isch a richtiger Horlender !».

 

Son origine est élucidée par un acte de baptême du registre paroissial, concernant l’enfant d’un couple de nomades : le comédien ambulant Antoine Horlender et son épouse Frédérique Munch, qui se disent originaires d’Oderen, canton de Saint-Amarin, font escale dans notre village, où le lundi soir, 31 janvier 1859 leur naît un fils, Antoine Horlender junior. Toutefois, dans les registres de la mairie, cette naissance n’est pas mentionnée.

 

Le dimanche 6 février, l’enfant est baptisé en l’église réformée de Diedendorf. Acte de baptême étonnant, que le pasteur Paul Eugène Witz (1), pourtant assez prolixe en général, se contente d’enregistrer sans commentaire…

 

En effet, tous les notables du village semblent s’être arraché l’honneur de porter sur les fonts baptismaux le petit  nomade : parmi les 16 parrains et marraines figurent les plus gros «Pferdsbüre», ainsi que la femme de l’instituteur Faezs et celle du maire Hostein.

 

S’agit-il là d’une résurgence de l’ancienne coutume qui accordait aux miséreux des parrains en surnombre (2), ou faut-il croire qu’à Diedendorf on a plus de charité chrétienne et moins de préjugés qu’ailleurs ?

 

Cette histoire a plutôt l’air d’une farce, me semble-t-il, et Bärwels Henriette, une de nos anciennes, me confirmera cette supputation : au seul nom de «Horlender», elle éclate de rire, tant est restée vivace dans sa mémoire la gaudriole qui s’y rattache, et dont les vieux parlaient encore au début de notre siècle.

 

J’apprends que l’idée de la farce a germé dans le clan des adversaires du pasteur, où elle s’est propagée en faisant boule de neige : « d’accord pour moi, si un tel ou une telle accepte également…. ».

Par cette pléthore d’honorables parrains pour le petit «Tziginner», les meneurs comptent prendre une revanche sur Witz, en tournant en dérision la cérémonie du baptême.

 

Car à Diedendorf sévit depuis des années une guerre de religion entre le pasteur réformé et le conseil municipal à majorité luthérienne : à son arrivée dans la paroisse en 1840, Witz a trouvé le vieux presbytère dans un état de délabrement tel, que malgré l’opposition farouche des édiles, il en a obtenu la démolition. La reconstruction, aux frais de la commune, constitue pour les luthériens un gaspillage scandaleux des deniers publics, et «Reewe Herr (un des parrains du petit Horlender) lancera à ce propos un jeu de mots, dont le village se délectera longtemps : « das isch Witz sin dummschter Witz ! »

 

On vient juste de payer les dernières factures des entrepreneurs, lorsque fin 1858, le pasteur revient à la charge, en exigeant la construction d’une remise, avec four à pain et buanderie, et le registre des délibérations municipales restitue bien l’état d’esprit des conseillers face à cette nouvelle provocation : entre les lignes, leur rage bouillonne, d’autant plus intense qu’elle est impuissante, car Witz a des appuis partout et les faveurs du préfet. Bref, entre l’élite luthérienne et le clan calviniste, dont l’insolence est proverbiale à Diedendorf, rien ne va plus !

 

C’est dans ce climat survolté que se déroulera le baptême, suivi d’un repas de fête qu’offrent les parrains, et au cours duquel, installés à la place d’honneur, Horlender et sa femme doivent se demander ce qui leur arrive.

 

Pour les villageois, le fait-divers, saugrenu à souhait, constitue un sujet de débat et de divertissement, qui agrémentera les longues veillées d’hiver, tandis que les esprits chagrin président des conséquences fâcheuses à cette mascarade : à prendre si ostensiblement en charge ce futur parasite, la commune risque fort de l’avoir sur les bras un jour, et de devoir nourrir un indigent de plus : «Am e scheene Daa misse mer denne aa noch durchschleife !  » (3)

 

Sombre prophétie, qui ne se réalisera pas : pour gagner sa vie, le petit Antoine apprendra le métier de réparateur de parapluies. De temps en temps, au cours de ses pérégrinations, il revient  saluer son village natal, sans trop compter sans doute sur le soutien des parrains, qui n’ont pas dû offrir souvent des « Chrischkingle » à leur filleul.

 

Comme plus tard la Victorine et sa marmaille, ou le jovial Batisse, qui partageait sous la «Ziejelhitt» son casse croûte avec les enfants du quartier, la tribu Horlender fait partie de cette population vagabonde, qui par sa fidélité bénéficie dans le village, une sorte de droit de cité.

 

En général, ils établissent leur campement dans l’ «Oberdorf», sous une tente à proximité du cimetière, ou sous l’auvent de la tuilerie…Vers 1900, les Horlender peuvent même se loger dans une petite maison, voisine de    « l ’auberge à l’étoile », que les descendants du tailleur Peter Lamy (4) laissent inhabitée, avant de la vendre à l’aubergiste Finck, qui la transformera en salle de bal.

 

Après sa carrière de «comédien», jongleur, acrobate, cracheur de feu ou «Bänkelsänger» (5), le vieux Horlender s’est recyclé dans la vannerie, et ses séjours dans la maison de «Schniederpetersch» permettent aux gens du quartier d’évaluer son goût de l’ordre et son ardeur au  travail…Quant à Horlender fils, il prouvera de façon éclatante sa fidélité au lieu de sa naissance : en 1904, dans l ‘église où en grande pompe fut célébré son baptême, il viendra s’unir pour le meilleur et le pire à Anna Barbara Fraber, de dix ans son aînée, veuve du funambule Jean Charles Tränckler, et fille du comédien Aloïs Fraber et de Barbara Stey, domiciliés à Untergrombach, Bezirksamt Bruchsal. Six des parrains et marraines sont encore en vie à ce moment là, mais on ne nous dit pas s’ils furent  invités au mariage.

 

C’est la dernière trace qu’à laissée dans nos archives le réparateur de parapluies, dont le souvenir s’est effacé. Aujourd’hui, pour tancer les enfants, qui laissent traîner leurs affaires, plus personne à Diedendorf ne recourt à l’expression consacrée : « Dü Horlender ! ».

 

Notes

 

(1)                Paul Eugène Witz, fils du pasteur Pierre Witz, exerce son ministère à la paroisse réformée de Diedendorf de 1840à 1864. Son épouse, Emilie Laiblé, fille du pasteur de Weyer, met neuf enfants au monde à Diedendorf, où décède en 1856 la mère de Paul Augène, Louise Charité Oberlin, fille du pasteur Jean Frédéric Oberlin de Waldesbach. Pas étonnant donc, qu’avec un grand’père aussi illustre Paul Eugène disposât de protections en haut lieu, au grand déplaisir du conseil municipal.

(2) Dans le registre paroissial de Diemeringen, nous relevons au sujet de cette coutume un acte de baptême de 1623 : «Dieser Lucas Schmidt (le père de l’enfant), weil er ein Bettler ist und im Land herum ziehet, sind ihm Gevattern vergonnet worden ».

(3) En effet, les municipalités se voyaient souvent contraintes de prendre en charge les plus défavorisés de leurs citoyens. Ainsi, en 1865, une lettre du sous-préfet tente-t-elle de responsabiliser la commune de Diedendorf à l’égard d’un certain Henri Schwing, accusé de mendicité. A quoi les conseillers répliquent, que le cas du mendiant n’est pas de leur ressort, étant donné qu’il a quitté le village à l’âge de 6-8 ans et que sa famille est domiciliée à Sarre-Union. Il s’agit en l’occurrence du fils naturel (né en 1816 à Diedendorf) de Catherine Nerger-Schwing, qui épouse en 1825 un vieux croûton, de 36 ans son aîné, Jacob Bender, tailleur à la Ville-neuve et veuf de M.Elisabeth Tittel.

(4) La petite maison aujourd’hui intégrée à «Fincke», fut sans doute construite par le tailleur Peter Lamy (1805-1884), qui épouse en 1828 Sophie Wilhelm d’Altwiller. De leurs cinq enfants, deux fils meurent de fièvre thyphoïde pendant leur service militaire, l’un en 1854, âgé de 21 ans, à l’hôpital militaire de Vesoul, l’autre un an plus tard, à 27 ans, à l’hôpital militaire de Toulon. L’une de leurs sœurs, épouse de Louis Schuster de Harskirchen, vendra la maison, dite «Schniederpetersh» à l’aubergiste Christian Finck.

(5) Ils défilaient de village en village, avec leur orgue de barbarie, les romances mélodramatiques, dont le texte, imprimé sur feuillets volants était vendu au public : «Mariechen sass weinend im Garten…» ou bien : «Siehst du jenen Jüngling im schaukelnenden Kahn, er hat mir mein Herz entflammet… »

 

 

 

                                                 

Publié dans HISTOIRE LOCALE

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